Pratique de classe

            Pratique de classe : (syn : faire avec les contingences locales).

Chaque enseignant a des souhaits, des désirs, des envies, jusqu’à ce qu’il pousse la porte d’une école, et de sa classe en particulier. Avant tout aspect théorique, les conditions matérielles et humaines sont déterminantes dans la pratique qui sera installée. Tout d’abord on n’agence pas une classe de moins de 50 m² comme une de 70m². Pour avoir connu les deux, les possibilités sont très différentes, par exemple dans la position des bureaux. Avez-vous des ordinateurs ? Pourrez-vous organiser des ateliers ? Avez-vous un point d’eau ? Pourrez-vous installer un coin bibliothèque, ou accueillant des expériences scientifiques ? Disposez-vous d’un vidéoprojecteur, d’un TNI ?

Ma dernière classe mesurait 49 m², auxquels il fallait retrancher les armoires, les étagères, et mon bureau. Sachant qu’en plus les 28 élèves étaient installés sur des bureaux anciens solidaires de leur chaise, il ne restait quasiment plus de place pour se déplacer. J’ai donc compris immédiatement qu’organiser un travail de groupe, même provisoirement était illusoire ! Sachant également qu’il n’y avait aucun ordinateur, les activités numériques ont disparu instantanément. Par chance il y avait une bibliothèque contiguë à la classe, ce qui m’a permis de beaucoup l’utiliser. Ces quelques exemples permettent de comprendre l’importance de l’aspect matériel, et les répercussions qu’il aura dans la pratique quotidienne.

Autre élément déterminant : les rapports humains. En arrivant dans cette école, nous avons travaillé pour établir des programmations d’activités par cycle et décidé de décloisonnements, c’est-à-dire par exemple, qu’un même enseignant pratiquait l’histoire sur plusieurs classes quand un autre s’occupait de géographie, etc... A l’arrivée d’une nouvelle directrice, toute cette organisation a volé en éclat. Organiser une cohérence, harmoniser des contenus ou des outils ne l’intéressait absolument pas, c’est devenu chacun chez soi. Et ensuite, on a vu des parents ne pas comprendre les différences de « menu » entre des niveaux identiques…

Ces quelques exemples pour montrer combien la pratique de l’enseignant est tributaire de son environnement. Il ne faut pas oublier non plus la composition de la classe. Ne nous racontons pas d’histoire, mais quand on a des élèves ingérables, on hésite à organiser des activités en dehors des murs, car on sait qu’immanquablement c’est la porte ouverte à toutes sortes d’ennuis. J’en ai vu créer des troubles dans des musées, dans des transports, ou cracher sur des voitures. Une fois, c’est déjà trop. Bien sûr la suspension des sorties pénalisera ceux qui se conduisent correctement, mais comme il n’est pas possible de ne pas emmener ce genre de gamin, et que, quoiqu’il arrive c’est l’enseignant qui sera responsable ; on ne pourra pas le blâmer s’il préfère s’abstenir.

Lors d’une inspection, j’ai eu un entretien très tendu avec l’IEN qui me reprochait d’être trop dirigiste et de pratiquer une pédagogie frontale. Il était de bon ton à l’époque d’exploser sa classe par petits groupes, dans la salle, le couloir ou la bibliothèque pour travailler une même notion. Or il se trouve qu’à ce moment-là je remplaçais un collègue dans la classe la plus difficile d’une école de banlieue. Il m’avait d’ailleurs bien prévenu de ne jamais les quitter des yeux, en raison de violence, de racket, de vols et autres joyeusetés. Et bien ce crétin d’inspecteur n’a rien compris à la réalité de cette classe, dans laquelle il valait mieux être chef de bande qu’enseignant si on ne voulait pas se faire démolir. Il aurait dû s’informer auprès de sa secrétaire qui triait sciemment les remplaçants capables d’affronter ce genre de situations.

Il faudra donc expliquer très tôt aux jeunes enseignants que leur pratique de classe évoluera sans cesse entre le souhaitable, rarement, et le possible, le plus souvent ; et qu’ils ne devront pas s’auto dénigrer quand la réalité n’est pas très en rapport avec leurs espérances.