Mois de juin, le téléphone sonne, je décroche. « Allo, je suis la nouvelle directrice de l’école, c’est moi qui prendrai le CM2 l’année prochaine, il faudrait que la collègue qui l’a cette année me rappelle. » Cette entrée en matière augurait bien de ce qu’allait être l’année à venir : un cauchemar. Quinze jours après la rentrée, la voilà nommée à quart de temps sur une autre direction ! On a donc un emploi du temps unique au monde : ¼ de direction dans une école, ¼ dans une autre, ¼ de maitre-formateur, et ¼ de temps qu’elle gère à sa guise ! Evidemment, l’inspectrice (une amie) couvre et appuie tout ceci. La voilà donc présente à l’école entre un et deux jours par semaine, de manière aléatoire. Elle décide que le bureau doit être fermé, et que les enseignants n’ont pas à répondre au téléphone ; plus aucune information ne passe. Elle exige de faire le compte rendu des conseils d’école, pour en avoir le contrôle. A intervalles réguliers, elle se plaint auprès de l’IEN, du comportement de certains enseignants. L’inspectrice vient menacer l’équipe de sanctions. Bref, une ambiance délétère. Des courriers faisant apparaître des manquements graves sont envoyés à l’inspection académique, aucune réponse. Les parents d’élèves, eux aussi se mobilisent. Face à un tel autoritarisme, la résistance s’organise : « récupération » d’une clé du bureau de direction, prise de contrôle de l’ordinateur de l’école… J’ai rarement vu une équipe aussi soudée face à l’adversité, les menaces et les mensonges. Mais je ne souhaite à personne de travailler dans ces conditions. Cerise sur le gâteau, cette personne, en tant que maitre-formateur, était censée aider de jeunes collègues dans leur classe. Elle a plutôt commis de gros dégâts, conduisant l’une d’elle à la démission, alors que son travail était tout à fait satisfaisant. J’avais pu en juger lors d’un remplacement.
Cette collègue, qui est la plus humainement détestable, et la plus incompétente de toutes celles que j’ai croisées dans ma carrière, a reçu les palmes académiques, sans doute comme témoignage de sa servilité.
Autre époque, autre école, autre directrice, mais l’histoire se répète. La prise de contact est brutale. Le jour de la pré-rentrée, des cartons et du matériel de l’école jonchent le couloir. « Prenez ce que vous voulez garder, le reste va partir à la benne ». L’absence de dialogue et de concertation sera donc sa manière de fonctionner. Des dossiers sur des projets antérieurs ainsi que les outils pédagogiques de liaison entre les classes disparaissent. Le bureau est présenté comme un espace « privatif », tout comme est privatisée la personne qui occupe l’emploi d’EVS. Celle-ci se voit confiée les photocopies de classes de la directrice, elle rentre aussi les notes dans les bulletins, bref, elle devient une secrétaire particulière. Les jeunes collègues réclamant un soutien lors de relations conflictuelles avec les parents se voient abandonnées à leur sort. Une partie du mois de juin est consacrée à la préparation d’un camp d’ados. Lors d’un stage de remise à niveau, les parents viennent se plaindre (à moi ?!) qu’elle balance des exercices et qu’elle file dans son bureau ; sans compter les devoirs, hors de portée d’enfants en difficultés, dont ils sont abreuvés le soir. Son maître mot est : pas de vague, pas conflit. La liste des manquements et des dysfonctionnements tiendra sur plusieurs pages qui seront remises à plusieurs IEN successifs, et il ne se passera rien.
Classe de Moyenne Section. « Maître, tu sais, cette nuit j’ai vu mon papa et ma maman… ». La petite se met à parler, et au fil de ses mots je vois bien qu’elle n’invente pas. Quelques questions pour fixer mon jugement, et voilà. Je vais devoir faire venir les parents à l’école pour leur expliquer que la prochaine fois, ils devront prendre quelques précautions… Un moment d’intense solitude !
Depuis quelques temps, Marouan a un comportement bizarre. Il semble extrêmement fatigué, avec des accès d’agressivité. En même temps, il ne parle que de mort. Après un petit tour au confessionnal, il finira par me dire qu’il partage sa chambre avec un grand frère qui passe ses nuits devant des films d’horreur faits de mutilations particulièrement réalistes. Les parents mettront du temps pour comprendre et admettre ce qui se passe dans la chambre voisine.
Fin juin. Dans cette école de la banlieue Est de Lyon, Loubna a l’air triste. Elle si exubérante d’habitude, est devenue muette. Je finis par avoir le fin mot de l’histoire. Elle part au bled dans une semaine, et n’est pas sûre de revenir. Et ce qu’elle craint le plus, c’est d’être mariée à quelqu’un qu’elle n’a jamais vu… Comment peut-on faire subir ça à une enfant ?
Octobre, remplacement dans une TPS (toute petite section), c’est-à-dire 25 enfants de 2 ans. L’impression de pénétrer dans un terrarium, tant cela grouille et rampe. Très difficile aussi de comprendre le moindre mot. Je ne connais pas cette peuplade, et son langage fait de borborygmes baveux. Impossible de les rassembler pour une chanson ou une histoire. Heureusement que l’Atsem est là, elle va me sauver la vie, surtout quand il faudra les remettre aux parents ou aux nounous. Ce jour-là, j’ai compris que laisser mon fils en crèche une année de plus, où il y avait 8 enfants pour 2 adultes, était une très bonne idée !
Mme G… a rendez-vous pour parler de sa fille. Ce mois de septembre est encore bien chaud, raison pour laquelle, Mme G… a choisi une toute petite jupe favorable aux courants d’air. Et comme elle passe son temps à croiser et décroiser les jambes, sa petite jupette ressemble de plus en plus à une ceinture. On ne soulignera jamais assez la difficulté pour un enseignant de se concentrer sur un discours professionnel lorsque les conditions deviennent extrêmes…
Je montre à des parents, le résultat d’un jet de pierre de leur fils (CM1) sur le front d’une camarade :
« Oui mais, elle l’avait humilié
- Ah bon, et comment donc ?
- Elle a raconté à tout le monde qu’il avait une décalcomanie sur le zizi
- Et c’était vrai ?
- Oui, mais ce n’était pas de sa faute, car des grands (CM2) l’y avaient obligé !
Quand la bêtise et la mauvaise foi n’ont plus de limite…
Le car est arrivé, et je rassemble mes troupes. Nous partons pour la journée. Ziggy a 7 ans, il est en retard, c’est habituel. Le voilà qui arrive sans aucun sac avec lui. Heureusement, il habite dans l’immeuble juste en face de l’école. Je traverse la rue, grimpe les escaliers et sonne chez lui. Sa mère, que je viens manifestement de réveiller, me dit qu’elle n’a rien à lui donner, et qu’elle n’était pas au courant de la sortie. Heureusement, Ziggy a des copains…
Aujourd’hui n’est pas un jour ordinaire, je passe le Cafipem. Les enfants de Cp se demandent bien ce que ces 6 adultes inconnus font dans leur classe. Je suis censé observer la séance de lecture, pour ensuite en faire une analyse avec la jeune collègue et lui donner des pistes. Seulement voilà, il y a un problème. Elle est excellente ; tout a été pensé et prévu dans les moindres détails. Que vais-je bien pouvoir lui apporter ? Je n’aurais jamais dû préparer la séance avec elle, je me suis tiré une balle dans le pied !
Les élèves de ma classe ne parlent plus, ni même ne chuchotent. Ils sentent bien, comme je suis en train de le faire, qu’il se passe quelque chose dans la classe d’à côté. Des cris de plus en plus forts, mais ce sont ceux de la maîtresse. J’ai l’impression qu’il lui arrive quelque chose, mais j’hésite à intervenir. Car si c’est moi qui fais la police, je vais saboter son autorité. Cela devient trop fort, et je décide d’ouvrir la porte de communication. Un gamin de CE2 fou furieux est en train de la frapper violemment. Il faudra un balayage en bonne et due forme pour le faire lâcher. L’entrevue avec la mère sera très orageuse, et à aucun moment elle ne condamnera l’attitude de son fils. Aujourd’hui, mon geste me vaudrait sûrement une sanction hiérarchique, voire une mise en examen…