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Le Dico de l'Instit

19 novembre 2019

Postace

Postface

 

Voilà, c’est fini. Si l’on considère que l’on peut en avoir fini avec ses souvenirs. Il me semblait important de conserver quelques traces, des quarante années de ma vie d’instit. Un jour, c’est sûr, la mémoire s’effilochera, et je compte sur ces lignes pour me remémorer les bons et mauvais moments, comme autant de ponctuations d’une carrière ; même si ce mot me semble particulièrement mal choisi pour ce qui me concerne.

Cela fait maintenant un an que j’ai quitté ma classe. Il y a quelques jours je suis allé dire au revoir à mes derniers élèves, car ils vont définitivement laisser l’école pour entrer au collège. Je leur avais promis. Difficile d’analyser cette étrange sensation. Le sentiment d’être un intrus, même si leur accueil et celui de leurs parents fut chaleureux. Je crois pouvoir dire que je n’y retournerai pas, malgré l’affection que je porte à mes collègues.

La lecture des réseaux sociaux et les contacts que j’ai encore dans la profession me laissent à penser qu’une souffrance sourde s’installe peu à peu. Difficile de voir ses collègues confrontées à des difficultés, et ne pas être là pour les aider à les affronter. C’est ainsi, il faut accepter de ne plus faire partie du jeu, avec toutefois la certitude d’avoir beaucoup donné…

 

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19 novembre 2019

Z'anecdotes-4

11 heures, bureau de direction, coup de téléphone de la gendarmerie : « Sur réquisition du procureur de la république, nous devons vérifier la présence d’un livre à caractère pornographique, dans une des classes. Il a une couverture rouge, et on y voit des enfants nus. Nous serons là à 11 h 30. » Les bras m’en tombent. Une fois les enfants sortis (quand même), nous pénétrons dans la classe et filons vers le coin bibliothèque, à la recherche de tous les livres rouges. Facile, il n’y en a qu’un : l’encyclopédie « Méga Junior », destinée aux enfants de 5 à 8 ans, et qui présente une planche anatomique avec son vocabulaire. Sourire des gendarmes qui devront toutefois photocopier les pages incriminées avant de les transmettre au procureur…

 

Même école, encore un coup de fil de la gendarmerie. Un enseignant est accusé d’avoir touché les fesses d’une enfant, au cours d’une séance de gymnastique au sol. Première étape peu agréable, aller voir la personne concernée et lui demander des éclaircissements, avant l’arrivée des pandores. L’explication est la suivante : il s’agissait pour les élèves de réaliser des roulades avant. Tous les encadrants le savent, certains enfants se posent sur la tête et ne poussent pas suffisamment pour effectuer la rotation. Ce faisant, ils exercent une flexion importante de la nuque et risquent de se blesser. Pour remédier à cela, celui qui gère l’atelier pose une main sur la nuque et l’autre sous les cuisses pour aider la bascule. Même chose lorsque l’on initie des enfants au salto avant sur trampoline. Nous voilà donc à quatre pattes sur un tapis, expliquer aux gendarmes les tenants et aboutissants de la situation. Cela pourrait prêter à sourire, s’il n’y avait en jeu la réputation d’une personne et sa carrière. Ajoutons à cela le fait que le collègue a été entendu pendant plusieurs heures, et que j’ai dû, moi aussi, aller à la gendarmerie pour témoigner, en tant que directeur de l’école…

Après une nuit sans sommeil, il est l’heure de se lever. Mais ce matin, il se passe quelque chose d’inhabituel. Impossible d’y aller, impossible de retourner dans cet enfer. J’ai tout essayé : changer les supports, la trame du cours, l’organisation spatiale de la classe… Rien n’y fait. Cette classe de Segpa est un happening permanent, faite de cris, d’insultes et même de violences physiques. Quatre ou cinq élèves mettent les séances à l’envers. On dirait aujourd’hui en langage pédago, qu’ils souffrent de troubles envahissants du développement. Le sentiment d’échec domine, comme si j’étais arrivé à mon seuil d’incompétence. Coïncidence, je retrouve une ancienne élève de Clis que j’avais orientée là. Si elle est à sa place, d’autres ne le sont pas. Bien sûr, j’ai fait des signalements auprès de la direction, des exclusions de cours quand cela devenait impossible, mais rien. D’ailleurs, j’attends toujours un retour et des actes de la part de la hiérarchie…

Aujourd’hui, Kelly, quatorze ans, a eu envie de prendre l’air. Elle est sortie de la classe, a pris un bus pour se rendre à la gare. Elle est montée dans un train pour Paris, où elle a passé une semaine. A son retour, la classe a eu droit au récit complet de ses exploits, faits de drogue et de sexe, dans un squat où elle avait ses entrées.

La coupe est pleine, je commence à ressentir des effets sur ma santé ; c’est donc décidé, je n’y retournerai pas. Rendez-vous est donc pris avec mon inspectrice pour lui faire part de la situation. Elle se montrera compréhensive, et me réaffectera en primaire, où je pourrai enfin exercer mon métier.

19 novembre 2019

Z'anecdotes-3

Mois de juin, le téléphone sonne, je décroche. « Allo, je suis la nouvelle directrice de l’école, c’est moi qui prendrai le CM2 l’année prochaine, il faudrait que la collègue qui l’a cette année me rappelle. » Cette entrée en matière augurait bien de ce qu’allait être l’année à venir : un cauchemar. Quinze jours après la rentrée, la voilà nommée à quart de temps sur une autre direction ! On a donc un emploi du temps unique au monde : ¼ de direction dans une école, ¼ dans une autre, ¼ de maitre-formateur, et ¼ de temps qu’elle gère à sa guise ! Evidemment, l’inspectrice (une amie) couvre et appuie tout ceci. La voilà donc présente à l’école entre un et deux jours par semaine, de manière aléatoire. Elle décide que le bureau doit être fermé, et que les enseignants n’ont pas à répondre au téléphone ; plus aucune information ne passe. Elle exige de faire le compte rendu des conseils d’école, pour en avoir le contrôle. A intervalles réguliers, elle se plaint auprès de l’IEN, du comportement de certains enseignants. L’inspectrice vient menacer l’équipe de sanctions. Bref, une ambiance délétère. Des courriers faisant apparaître des manquements graves sont envoyés à l’inspection académique, aucune réponse. Les parents d’élèves, eux aussi se mobilisent. Face à un tel autoritarisme, la résistance s’organise : « récupération » d’une clé du bureau de direction, prise de contrôle de l’ordinateur de l’école… J’ai rarement vu une équipe aussi soudée face à l’adversité, les menaces et les mensonges. Mais je ne souhaite à personne de travailler dans ces conditions. Cerise sur le gâteau, cette personne, en tant que maitre-formateur, était censée aider de jeunes collègues dans leur classe. Elle a plutôt commis de gros dégâts, conduisant l’une d’elle à la démission, alors que son travail était tout à fait satisfaisant. J’avais pu en juger lors d’un remplacement.
Cette collègue, qui est la plus humainement détestable, et la plus incompétente de toutes celles que j’ai croisées dans ma carrière, a reçu les palmes académiques, sans doute comme témoignage de sa servilité.

 

Autre époque, autre école, autre directrice, mais l’histoire se répète. La prise de contact est brutale. Le jour de la pré-rentrée, des cartons et du matériel de l’école jonchent le couloir. « Prenez ce que vous voulez garder, le reste va partir à la benne ». L’absence de dialogue et de concertation sera donc sa manière de fonctionner. Des dossiers sur des projets antérieurs ainsi que les outils pédagogiques de liaison entre les classes disparaissent. Le bureau est présenté comme un espace « privatif », tout comme est privatisée la personne qui occupe l’emploi d’EVS. Celle-ci se voit confiée les photocopies de classes de la directrice, elle rentre aussi les notes dans les bulletins, bref, elle devient une secrétaire particulière. Les jeunes collègues réclamant un soutien lors de relations conflictuelles avec les parents se voient abandonnées à leur sort. Une partie du mois de juin est consacrée à la préparation d’un camp d’ados. Lors d’un stage de remise à niveau, les parents viennent se plaindre (à moi ?!) qu’elle balance des exercices et qu’elle file dans son bureau ; sans compter les devoirs, hors de portée d’enfants en difficultés, dont ils sont abreuvés le soir. Son maître mot est : pas de vague, pas conflit. La liste des manquements et des dysfonctionnements tiendra sur plusieurs pages qui seront remises à plusieurs IEN successifs, et il ne se passera rien.

 

Classe de Moyenne Section. « Maître, tu sais, cette nuit j’ai vu mon papa et ma maman… ». La petite se met à parler, et au fil de ses mots je vois bien qu’elle n’invente pas. Quelques questions pour fixer mon jugement, et voilà. Je vais devoir faire venir les parents à l’école pour leur expliquer que la prochaine fois, ils devront prendre quelques précautions… Un moment d’intense solitude !

 

Depuis quelques temps, Marouan a un comportement bizarre. Il semble extrêmement fatigué, avec des accès d’agressivité. En même temps, il ne parle que de mort. Après un petit tour au confessionnal, il finira par me dire qu’il partage sa chambre avec un grand frère qui passe ses nuits devant des films d’horreur faits de mutilations particulièrement réalistes. Les parents mettront du temps pour comprendre et admettre ce qui se passe dans la chambre voisine.

 

Fin juin. Dans cette école de la banlieue Est de Lyon, Loubna a l’air triste. Elle si exubérante d’habitude, est devenue muette. Je finis par avoir le fin mot de l’histoire. Elle part au bled dans une semaine, et n’est pas sûre de revenir. Et ce qu’elle craint le plus, c’est d’être mariée à quelqu’un qu’elle n’a jamais vu… Comment peut-on faire subir ça à une enfant ?

 

Octobre, remplacement dans une TPS (toute petite section), c’est-à-dire 25 enfants de 2 ans. L’impression de pénétrer dans un terrarium, tant cela grouille et rampe. Très difficile aussi de comprendre le moindre mot. Je ne connais pas cette peuplade, et son langage fait de borborygmes baveux. Impossible de les rassembler pour une chanson ou une histoire. Heureusement que l’Atsem est là, elle va me sauver la vie, surtout quand il faudra les remettre aux parents ou aux nounous. Ce jour-là, j’ai compris que laisser mon fils en crèche une année de plus, où il y avait 8 enfants pour 2 adultes, était une très bonne idée !

 

Mme G… a rendez-vous pour parler de sa fille. Ce mois de septembre est encore bien chaud, raison pour laquelle, Mme G… a choisi une toute petite jupe favorable aux courants d’air. Et comme elle passe son temps à croiser et décroiser les jambes, sa petite jupette ressemble de plus en plus à une ceinture. On ne soulignera jamais assez la difficulté pour un enseignant de se concentrer sur un discours professionnel lorsque les conditions deviennent extrêmes…

 

Je montre à des parents, le résultat d’un jet de pierre de leur fils (CM1) sur le front d’une camarade :
« Oui mais, elle l’avait humilié
- Ah bon, et comment donc ?
- Elle a raconté à tout le monde qu’il avait une décalcomanie sur le zizi
- Et c’était vrai ?
- Oui, mais ce n’était pas de sa faute, car des grands (CM2) l’y avaient obligé !
Quand la bêtise et la mauvaise foi n’ont plus de limite…

 

Le car est arrivé, et je rassemble mes troupes. Nous partons pour la journée. Ziggy a 7 ans, il est en retard, c’est habituel. Le voilà qui arrive sans aucun sac avec lui. Heureusement, il habite dans l’immeuble juste en face de l’école. Je traverse la rue, grimpe les escaliers et sonne chez lui. Sa mère, que je viens manifestement de réveiller, me dit qu’elle n’a rien à lui donner, et qu’elle n’était pas au courant de la sortie. Heureusement, Ziggy a des copains…

 

Aujourd’hui n’est pas un jour ordinaire, je passe le Cafipem. Les enfants de Cp se demandent bien ce que ces 6 adultes inconnus font dans leur classe. Je suis censé observer la séance de lecture, pour ensuite en faire une analyse avec la jeune collègue et lui donner des pistes. Seulement voilà, il y a un problème. Elle est excellente ; tout a été pensé et prévu dans les moindres détails. Que vais-je bien pouvoir lui apporter ? Je n’aurais jamais dû préparer la séance avec elle, je me suis tiré une balle dans le pied !

 

Les élèves de ma classe ne parlent plus, ni même ne chuchotent. Ils sentent bien, comme je suis en train de le faire, qu’il se passe quelque chose dans la classe d’à côté. Des cris de plus en plus forts, mais ce sont ceux de la maîtresse. J’ai l’impression qu’il lui arrive quelque chose, mais j’hésite à intervenir. Car si c’est moi qui fais la police, je vais saboter son autorité. Cela devient trop fort, et je décide d’ouvrir la porte de communication. Un gamin de CE2 fou furieux est en train de la frapper violemment. Il faudra un balayage en bonne et due forme pour le faire lâcher. L’entrevue avec la mère sera très orageuse, et à aucun moment elle ne condamnera l’attitude de son fils. Aujourd’hui, mon geste me vaudrait sûrement une sanction hiérarchique, voire une mise en examen…

19 novembre 2019

Z'anecdotes-2

Remplacement du directeur de l’école, pour l’après-midi. Je le croise trente secondes, et il me dit qu’il avait prévu EPS. Je récupère le matériel et rassemble la classe. Première observation, les gamins sont ingérables, n’écoutent aucune consigne, et même sautent les grilles de l’école. J’annule la séance, et il va me falloir une demi-heure pour les faire enter en classe. Heureusement nous sommes à l’étage, sinon la majorité d’entre eux serait sortie par les fenêtres. L’ambiance est très tendue. Pas question de les laisser sortir pour des raisons de sécurité. Je suis contraint de mettre le bureau devant la porte et de leur dire que pour sortir il faudra me passer dessus. Ceux qui s’approchent finissent sur les fesses.  Ce face à face va durer deux heures et demie. A 16 h 30 je vais voir les collègues pour leur expliquer l’après-midi. Ils se disent étonnés de m’avoir vu partir en EPS, car cela n’arrive jamais, la classe est bien trop incontrôlable, les élèves s’enfuient de l’école régulièrement. Ils sont d’autant plus inquiets qu’une stagiaire de l’IUFM arrive le lendemain. Avec leur accord, je file chez l’IEN pour le prévenir de la situation particulière de cette classe, et de l’inquiétude vis-à-vis de la stagiaire.
            « Vous avez très bien fait de me prévenir, je vais faire le nécessaire. »
Résultat néant. Cette jeune collègue en formation quittera l’école en larmes au bout d’une heure, après que toutes ses affaires aient été passées par la fenêtre.

Classe verte. Nous venons de quitter le refuge de l’Orgère. La classe s’étire sur une centaine de mètres, en montant le long du sentier. Soudain un bruit nous fait lever la tête. Des pierres viennent de partir plus haut dans la pente. Trop tard pour s’abriter, chacun se fige. Plusieurs projectiles traversent le groupe à une vitesse incroyable. Un enfant est touché, heureusement de manière très superficielle, cela tient du miracle. Ma carrière aurait pu s’arrêter ce jour-là. Peu importe que je n’aie commis aucune faute, j’étais responsable.

 

Même classe verte. Simon est obèse. Ses cinquante kilos l’empêchent de monter. Heureusement, aujourd’hui c’est le dernier jour, et nous descendons à Modane pour prendre le train et rentrer à la maison. Mais voilà qu’au milieu du parcours, alors que nous visitons des fortifications, Simon a la mauvaise idée de se faire une belle entorse. Après avoir bricolé un cacolet avec quelques sangles, je le descends donc sur mon dos. Même à l’armée, où j’avais connu des épreuves très sévères, je n’avais eu à porter 50 kilos pendant plusieurs heures…

 

Je ne comprends pas. Très souvent à la récréation, le directeur quitte l’école et entre dans l’immeuble en face. Sourire des collègues, et l’un d’entre eux finit par lâcher le morceau. Sa maîtresse habite en face. Je comprends maintenant mieux son visage heureux quand il revient ! Et j’ai aussi une pensée pour sa femme, directrice elle aussi dans la même commune, à quelques centaines de mètres…

 

Même directeur. Il prévient l’inspection le vendredi qu’un collègue sera absent le samedi matin. La secrétaire lui annonce que je viendrai faire le remplacement, et me prévient sur le champ. J’arrive le lendemain, et il me balance un gros mensonge en me disant qu’il n’était pas sûr qu’il y aurait un remplaçant, et qu’il a renvoyé les enfants chez eux. Il me propose alors de prendre sa classe car il a des évaluations à corriger ! Le pigeon s’est très vite envolé…

 

19 novembre 2019

Z'anecdotes-1

            Z’anecdotes : (syn : j’étais là).

Sortie de l’école, deux ados attrapent une instit en lui collant un bidon d’essence à côté de la figure : « Si tu ne laisses pas M… tranquille, on te crame. » Durée de l’action quinze secondes, devant des parents et des enfants, personne n’a rien vu, pas de suite.

 

Le remplaçant vient de se garer devant l’école. Nous lui disons que ce n’est pas une bonne idée. Trop tard, ses vitres viennent d’exploser et son ordinateur n’est plus là. Lorsque j’interviens dans certaines écoles, je me gare loin, de préférence sur un grand parking, pour que ma voiture ne soit pas identifiée. Je fais croire que j’arrive en bus.

 

Aujourd’hui nous allons au gymnase. Trois cents mètres à faire. Je me retourne et vois deux gamins dans une voiture. Ils viennent de l’ouvrir en moins d’une minute. Pratique en cas de perte de clés.

 

« Tu sais, si tu me fais chier mon père va venir te casser la gueule ».
 Je suis dans ce CE1 depuis une minute, appelé pour un remplacement.
            - Impossible, ton père vient de partir en tôle. »
Il aura droit à une traversée de classe sans toucher par terre avec atterrissage brutal sur sa chaise. Il faut dire qu’une heure plus tôt, le père était entré dans la cour et avait frappé violemment l’instit avant d’être arrêté. L’inspection n’avait pas jugé utile de me prévenir de la situation.

 

Dans cette école, toutes les portes sont en métal et les vitres en plexiglass. La consigne est de ne jamais laisser une porte ouverte, et de fermer systématiquement chaque porte durant un déplacement. Chacun se trimballe avec un trousseau, comme dans une prison. Ce jour-là, départ pour le gymnase. De retour en classe, mes affaires personnelles ont disparu, pourtant la porte était fermée. Erreur fatale, nous sommes en juin, il fait chaud, et une fenêtre est restée ouverte. Au premier étage, je pensais être tranquille. Des gamins sont rentrés dans l’enceinte de l’école et ont escaladé un étage. Ils sont repartis par le même chemin.

 

Classe de CP. Je suis en train d’écrire au tableau. Et comme on dit dans les mauvais romans, le silence devient assourdissant. Je me retourne et vois trois ados tenant des survêtements dans les mains. « On a vu que vous étiez souvent habillé comme ça, alors on s’est dit que ça pourrait vous intéresser. » Si je les mets dehors, ça va partir en vrac et il y a quand même vingt-cinq gamins dans la classe. Donc attitude cool : « c’est sympa d’avoir pensé à moi, en ce moment je n’ai besoin de rien, mais plus tard pourquoi pas. Merci les gars, salut » et grosse suée.

 

Hier j’ai acheté un autoradio pour ma nouvelle voiture. C’est dommage, un de mes élèves de CM2 vient m’en proposer un très bien pour un prix dérisoire. Si seulement j’avais attendu un peu… Ce garçon s’est spécialisé dans l’automobile, car je le vois de temps en temps conduire une voiture dans le quartier !

 

Nous sommes en juin, il fait chaud, et dans cette petite école de gitans (désolé j’aurais dû dire gens du voyage), perdue au milieu des marais, l’ambiance est quelque peu nonchalante. D’habitude ils viennent à l’école quand ils veulent, mais là, ce n’est plus très souvent. Ils me mettent directement le marché en main : « soit on joue à la pétanque, soit on s’en va. » OK, je pense qu’on va jouer à la pétanque, car partir de l’école, ça ne leur pose aucun problème. Ils font ce qu’ils veulent, quand ils veulent. Ce matin une petite de maternelle est arrivée au portail et a dit à sa mère qu’elle ne voulait pas aller à l’école. Réponse de la mère : « Mais qu’est-ce qu’on fait là ? » Et elles sont parties. Dans quelques jours, les plus grands quitteront l’école pour ne plus jamais y retourner ; pas question pour eux d’aller au collège. Quand je leur demande pourquoi, ils me regardent avec un grand sourire : « cours par correspondance » !

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19 novembre 2019

Yoyo

            Yoyo : (syn : ascenseur émotionnel).

Inutile de se prendre pour un dieu vivant de la pédagogie, cela ne va pas durer. Il est possible, plusieurs fois dans la même journée, de connaître la plénitude de la réussite, et les affres douloureuses de l’échec. Rien qui ne soit définitivement acquis, ou désespéré. Très vite, il va falloir prendre de la distance avec tout cela, pour ne pas sombrer dans la grosse tête ou le désespoir. Permettre l’apprentissage n’est pas une mince affaire, et l’on en détient qu’une partie des clés. Il vaut mieux être un adepte des montagnes russes !

19 novembre 2019

XX

            XX: (syn: chromosome féminin).

En 1978, je pousse la porte d’une école maternelle pour y effectuer un stage. La directrice qui me reçoit, me demande si je viens réparer l’électricité ! Qu’un homme puisse travailler avec des enfants de quatre ans était simplement inimaginable. Les parents ont aussi eu du mal à masquer leur surprise. Il faut dire qu’étant issu d’une Ecole Normale de garçons, nos professeurs nous avaient clairement dit que la maternelle était réservée aux filles, et que nous n’avions rien à y faire. Mon esprit de contradiction naturel a fait le reste…

Le taux de féminisation est passé de 65% en 1954 à plus de 82% aujourd’hui dans le 1er degré. Et curieusement, cette augmentation s’est accompagnée d’un déclassement social de ce métier. D’aucuns avancent l’idée que la rémunération de l’enseignante constitue souvent un salaire d’appoint dans le couple, et que beaucoup de femmes ont fait ce choix pour bénéficier facilement d’un temps partiel. Je ne dispose pas des éléments statistiques pour infirmer ou non cette théorie, mais une chose est sûre : le mâle se fait rare dans les cours d’école, et nombreuses sont celles qui n’en compte aucun.

Il y a plusieurs décennies l’accession à ce métier représentait une promotion sociale, ce n’est plus vrai aujourd’hui. S’il y a un lien avec la présence massive des femmes, alors il faut s’interroger sérieusement sur les relations humaines et sociales dans notre pays.

Certains expliquent aussi la baisse de l’autorité dans les écoles, par le fait qu’il y manque des hommes. D’après ce que j’ai pu en juger, cette idée ne tient pas car j’ai connu des enseignantes capables de gérer parfaitement des classes difficiles, et des hommes complètement dépassés. Cependant, il faut bien avouer que les secrétaires de circonscription envoient souvent des hommes dans les classes compliquées quand elles le peuvent. Je suis très bien placé pour en parler, ce fut mon cas plus souvent qu’à mon tour.

Quarante années d’immersion dans ce milieu féminin me conduisent à quelques observations. Pour un homme marié, il faut une fidélité et une loyauté à son épouse, à toute épreuve ; car les opportunités sont nombreuses, surtout comme remplaçant qui change sans arrêt d’école. Ce n’est pas faire preuve de prétention ou d’orgueil, c’est juste une question de mathématiques, et plus précisément de probabilités. En une année, vous allez être contact avec des dizaines de femmes. J’imagine que c’est la même chose dans les hôpitaux !

Au quotidien, lors des repas par exemple, les sujets de conversation traitent plus souvent des enfants qui ont perdu une dent, de l’aménagement de la maison ou de la qualité des couches, plutôt que du dernier match du Barça ou du transfert d’Mbape. Attention aussi aux vannes ! Pas vraiment possible de se lâcher un peu comme on le ferait avec des collègues masculins ; la blague bien lourde, il vaut mieux se la garder pour ailleurs… Le féminisme et la bien-pensance sont aussi passés par là !

Quoiqu’il en soit, et à part quelques exceptions, je me félicite d’avoir évolué dans ce milieu, même s’il m’a fallu pour cela surveiller mon attitude et mon vocabulaire !

Male Chromosomes Inside The Cell Stock Photo - Image of ...

19 novembre 2019

Wollemia Nobilis

            Wollemia Nobilis : (syn : espèce en voie d’extinction).

Tel cet arbre australien, dont il ne reste plus que quelques représentants, j’ai pleinement conscience d’appartenir à une espèce qui aura totalement disparu dans les deux ou trois prochaines années. Je veux parler de ces enseignants recrutés dès la 3ème, qui ont connu une Ecole Normale non mixte, et dont la formation s’est enrichie des apports de l’éducation populaire. Quels enseignants sortant d’ESPE, ont entendu parler des CEMEA ou des FRANCAS ?

A la fin des années 70, nous préparions notre classe sur des stencils (sorte de papier carbone) qu’il fallait ensuite tirer sur une machine à alcool rotative à main. Cela bavait beaucoup, et il n’était pas rare de devoir tout recommencer. L’ouverture sur le monde se faisait grâce à des diapositives, et des petits livrets : « textes et documents pour la classe ». On pouvait très facilement et sans autorisation, sortir étudier la haie derrière l’école, les plantes et les insectes. Les enfants ne voyaient jamais d’orthophoniste ou de psychologue, sauf à de très rares exceptions. Nous n’apprenions pas à nous barricader, et à nous cacher sous les tables.

D’aucuns me diront que la nostalgie provoque le syndrome du « c’était mieux avant ». Peut-être. Cependant, je ne peux cesser de m’interroger sur ce qui a conduit à l’état de déliquescence du système scolaire actuel, ses causes exogènes et endogènes. Il est difficile de laisser derrière soi un champ de ruines, qui ne tient encore debout que grâce à l’implication de ses serviteurs.

19 novembre 2019

Violence

            Violence : (syn: fléau croissant).

Autant commencer par une banalité : l’école n’est que le reflet de la société. Ce n’est pas le sanctuaire réclamé par certains, et d’ailleurs, je ne vois pas comment il pourrait en être autrement, sauf à habiter sur une île déserte sans moyen de communication. C’est un lieu qui cristallise les passions, les enjeux, les anathèmes aussi. On peut observer des comportements violents de la part des élèves, des parents, de l’institution, et beaucoup plus rarement des enseignants. Ces actes de violence prennent leur source dans la misère sociale et économique, mais aussi dans une attitude consumériste qui considère l’école comme une simple entreprise de service. Leur nombre croît d’année en année, et toutes les tentatives pour les faire régresser échouent lamentablement.

Les élèves, même très jeunes, utilisent un vocabulaire où l’insulte est un élément de langage banal et habituel. Puis très vite on en vient aux coups. Dans certaines écoles, qu’il n’est pas difficile de localiser, cela représente le quotidien. L’absence de sanction suffisamment dissuasive n’est certainement pas étrangère au phénomène, même si elle ne doit pas être la seule réponse. J’ai croisé de nombreux enfants qui auraient véritablement gagné à être éloignés de leur famille et de leur quartier. Leur comportement s’expliquait bien par l’environnement dans lequel ils vivaient.

L’attitude violente de certains parents est aussi affaire de conditions de vie, mais elle est parfois issue des relations qu’ils ont, eux-mêmes, entretenues avec l’école. Dans plusieurs entretiens que j’ai eu à mener, leur parcours chaotique et douloureux transparaît au détour de chaque phrase. Ils n’ont pas confiance dans l’institution à priori. Il sera donc très difficile d’obtenir leur adhésion. Avec pour conséquence un double discours préjudiciable à l’enfant.

Les cas d’agressions verbales et physiques se sont multipliés sans que des sanctions sérieuses aient été prononcées. Là encore c’est l’impunité qui domine. L’attitude de l’Education Nationale en ne soutenant pas ses agents, accentue le phénomène ; alors qu’elle devrait engager des poursuites pénales à chaque fois que nécessaire.

Les violences physiques issues d’enseignants ont disparu. Il faut remonter plusieurs dizaines d’années en arrière pour en trouver trace. J’ai assisté à quelques paires de gifles il y a longtemps, mais c’est tout. Aujourd’hui, si l’on pose sa main sur l’épaule d’un élève, ou si on le prend par le bras, l’inspecteur débarque pour vous le reprocher…

Les violences psychologiques sont, elles, beaucoup plus insidieuses et difficiles à détecter. Elles se traduisent par un discours et une attitude faits d’indifférence ou de dénigrement. Ce sont l’image que l’élève à de lui-même et sa confiance en lui qui sont impactées. Il n’y a que les témoignages des enfants qui permettent de les repérer, avec toutes les précautions qu’ils nécessitent.

L’institution est capable, elle aussi, de violence. Mais elle n’a qu’une cible : les personnels qui la servent. Cela peut se traduire de diverses façons. Tout d’abord, comme cela a déjà été dit, une absence de soutien des agents ; une absence de gestion des ressources humaines en fonction des compétences, une évaluation où l’arbitraire occupe la plus grande place, une précarisation croissante des personnels, par l’utilisation massive de contrats courts ; ainsi qu’un déclassement social dû à des rémunérations insuffisantes.

Il n’est donc pas surprenant que les démissions et burn-out augmentent…

19 novembre 2019

Uniforme

            Uniforme : (syn : vive le Maréchal).

Que l’on me permette, pour une fois, de ne pas avoir d’avis tranché. Parmi les « marronniers » sur l’école, celui-ci revient de temps en temps. Encore plus dans la période présente, où l’école de Jules Ferry fait office de Saint Graal. Ici ou là, un maire lance l’idée du port de l’uniforme dans sa commune, sans recueillir de large consensus. Les enseignants, parents et enfants sont très partagés sur la question, si j’en crois des contacts que j’ai pu avoir.

Bien sûr, cela crée un sentiment d’égalité, et tord aussi le cou aux soucis que la dictature des marques fait naître dans certaines écoles ou collèges. D’un autre côté, la culture scolaire de notre pays, où chacun est jaloux de ses prérogatives, n’est pas celle du Royaume-Uni par exemple, où le port de l’uniforme ne prête pas à débat.

Porter un uniforme aujourd’hui dans le seul but de ressembler à l’école du 19ème siècle me semble bien stupide. Quoiqu’en pense certains qui vivent dans le fantasme d’un temps révolu. En revanche, mettre tout le monde dans une égalité d’apparence, pourquoi pas… Mais cela ne règlera pas les problèmes de fond.

Si cela doit s’expérimenter, cela ne peut être qu’à l’initiative de la communauté éducative, et recueillir un très large consensus.

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