Différenciée

            Différenciée (pédagogie) : (syn : utopie)

A force de faire changer tout le monde de classe quel que soit le niveau de chacun, et arriver ainsi à un degré d’hétérogénéité extrême, il fallait bien inventer quelque chose pour faire passer la pilule, notamment au niveau des parents. C’est ainsi qu’est arrivée il y a un peu plus de 20 ans, la pédagogie différenciée. « Mesdames et messieurs les enseignants, puisque vous avez des niveaux tellement différents dans votre classe, vous allez devoir préparer un menu adapté à chacun de vos élèves. » Nous avons reçu des injonctions pour différencier les contenus, les méthodes, les modes de regroupement…

Je me souviens d’un film réalisé par un IMF qui n’allait pas tarder à devenir inspecteur, dans lequel on voyait trois enfants à plat ventre dans le couloir, cinq assis à une table avec des manuels, quatre avec l’enseignant, et d’autres un peu plus loin. Tout ce petit monde travaillant sur le complément d’objet direct avec un calme, un sérieux et une autonomie que je n’ai plus jamais revus ! Cela sentait bon la leçon modèle, réalisée dans l’école d’application idoine. Or à cette période-là, je travaillais dans une école très difficile de la banlieue Est de Lyon où mes élèves passaient plus de temps à s’insulter et à se frapper qu’à se passionner pour le COD !

Il est certes louable de chercher à s’adapter le plus possible à chaque élève de sa classe, mais cela n’a de chance d’être possible que si l’écart entre les élèves n’est pas considérable. Dans mon dernier CM1 j’avais des enfants non-lecteurs, auxquels je devais fournir des supports de CE1 (sans que cela soit écrit dessus pour ne pas les vexer ni choquer leurs parents !), mais aussi d’excellents lecteurs qui auraient fait envie à bon nombre de professeurs de collège. Même chose en mathématiques. C’est là que l’on mesure les limites de l’exercice, et à moins de vouloir y sacrifier ses nuits, on se heurte vite au mur du temps.

Alors j’ai fait comme mes prédécesseurs, qui n’avaient jamais entendu parler de pédagogie différenciée, j’ai raccourci les dictées, diminué le nombre de chiffres dans les opérations… Rien de bien original, alors que pour les non-lecteurs, j’aurais dû leur faire des séances d’apprentissage de la lecture sur le modèle du CP. Impossible à envisager dans un CE2/CM1 à vingt-huit.

Je ne m’étendrai pas longtemps sur les documents que l’administration exige désormais (PPRE, PAP…), et dans lesquels il faut écrire noir sur blanc la nature des difficultés et les dispositifs d’aide mis en place. Avantage : cela permet de rencontrer les parents et d’échanger avec eux ; inconvénient : les difficultés subsistent. Quand on voit partir en sixième un élève, et que la compétence choisie dans son dernier PPRE est : « Ecrire une phrase simple au présent. », cela n’augure rien de bon pour la suite.